26 mai 2022

Le 7 avril dernier, la Loi modifiant la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance afin d’améliorer l’accessibilité au réseau des services de garde éducatifs à l’enfance et de compléter son développement a été adoptée à l’Assemblée nationale. Cette loi accompagne le « Grand chantier pour les familles », qui, dans les grandes lignes, vise à accélérer la création de places dans le réseau. Rappelons que le ministre Lacombe s’est engagé à créer 37 000 places d’ici cinq ans. Le gouvernement investit 5,9 milliards de dollars pour ce chantier.  

Sommairement, les changements majeurs apportés par le projet de loi concernent le développement des places en services éducatifs à l’enfance, particulièrement en installation. Les appels de projets pour la création de CPE, par exemple, se feront en continu et non plus à date fixe. Le nombre maximal par installation passe désormais de 80 enfants à 100 enfants. Le gouvernement se donne aussi l’obligation de créer des places et il rapatrie le guichet unique. Enfin, d’ici 2026, la garde en milieu familial non régie et non subventionnée ne sera plus permise.  

Concrètement, la loi aura peu d’impact sur la vie quotidienne des membres que nous représentons. Avant d’analyser les débats qui ont eu lieu lors de l’étude détaillée et les principaux changements apportés, voici les étapes du cheminement de la loi. 

Les étapes ayant mené à l’adoption de la loi et les prochaines étapes :  

Avant son adoption, le projet de loi a été soumis à la consultation des partenaires.  

Pour consulter le mémoire remis par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ)et la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) en novembre dernier : Conseil exécutif (lacsq.org) 

Par la suite, le projet de loi a été étudié article par article à l’Assemblée nationale. Le ministre Lacombe et les partis de l’opposition ont apporté certaines nouvelles recommandations : il s’agit ici de l’étape de l’étude détaillée (totalisant 50 heures de travaux à l’Assemblée nationale). La FIPEQ-CSQ a également fait des représentations auprès des partis de l’opposition, puis, le projet de loi a été adopté immédiatement après cette étape. Le Parti québécois a voté contre son adoption.  

Le projet de loi devient une loi lorsqu’il est sanctionné. La nouvelle loi est donc en vigueur depuis le 12 avril 2022. Certaines de ses sections entreront en vigueur ultérieurement : 

  • Le 1er septembre 2022 : entreront en vigueur les sections de la loi qui concernent le développement des places, les comités consultatifs régionaux, la portée de la loi (enfants de six ans) et les exclusions (les haltes-garderies, les personnes qui gardent au plus deux enfants ou des enfants qui vivent normalement ensemble, la garde occasionnelle pour assemblée délibérante); 
  • Le 1er septembre 2026 : tout ce qui concerne la garde en milieu familial non reconnue (PNR); 
  • À une date fixée par décret du gouvernement : tout ce qui concerne le guichet unique, les politiques d’admission, l’évaluation de la qualité et la garde atypique. 

Le mot « garde » et le terme « éducatifs » 

Dès le premier jour de l’étude détaillée, un long débat s’est tenu sur le terme « garde » dans la loi et les règlements. Les partis de l’opposition ont proposé d’amender l’ensemble de la loi afin d’enlever le terme « garde » pour plutôt parler de « services éducatifs à la petite enfance ». Le ministre Lacombe a refusé cet amendement, non pas par désaccord sur le fond, mais parce que trop complexe juridiquement, le terme « services éducatifs » étant réservé au monde scolaire et qu’il faudrait changer l’ensemble des règlements et des documents ministériels. À la toute fin de l’étude détaillée, un amendement omnibus (couvrant l’ensemble du projet de loi) a été adopté afin d’ajouter le terme « éducatif » en tous lieux. On parle donc partout dans le projet de loi de « services de garde éducatifs à l’enfance », de « bureaux coordonnateurs de la garde éducative en milieu familial » et de « responsables de services de garde éducatifs en milieu familial ». 

 Le droit à une place en services éducatifs à l’enfance  

C’est probablement le thème qui a causé le plus de débats et de mécontentement de partis de l’opposition et de certains groupes de pression représentant les parents. Les partis d’opposition auraient préféré que soit inscrit dans la loi le principe du droit à une place, à l’instar du système scolaire, c’est-à-dire le principe « un enfant, une place ». Le ministre Lacombe a rétorqué qu’on ne peut pas comparer le réseau des services éducatifs à la petite enfance au système scolaire, puisque ce ne sont pas des services publics comme l’école. Le réseau est composé d’organismes à but non lucratif (OBNL) (les CPE), de travailleuses autonomes (les responsables en services éducatifs en milieu familial [RSE]) et d’entreprises (les garderies subventionnées ou non). L’amendement visant le droit à une place a été rejetée. L’article 1 du projet de loi parle plutôt du droit des parents « de choisir le prestataire de service de garde ».  

 Le développement des places et la création des comités consultatifs régionaux 

Le changement probablement le plus significatif dans la loi concerne le développement des places et les appels d’offres pour la création de nouvelles installations. Dans l’ancienne version de la loi, ces appels d’offres se faisaient à date fixe et le processus était assez long et fastidieux. Les comités consultatifs sur l’offre (CCO), présents dans toutes les régions, étaient d’abord chargés d’analyser les projets présentés avant de les transmettre au ministère. Désormais, les CCO sont abolis et remplacés par des comités consultatifs régionaux (CCR) composés en majorité de représentantes et représentants des MRC et des municipalités et dont le mandat est de conseiller le ministre sur les besoins et les priorités en matière de services éducatifs à l’enfance dans leur territoire. Ces derniers n’ont plus à analyser les projets de nouvelles installations; cette étape se fera directement au ministère et le processus est désormais en continu et non plus à date fixe. Toutefois, le ministère a l’obligation de consulter les CCR, ainsi que le ministère de l’Éducation avant de développer de nouvelles places. Le ministre se donne la possibilité de s’impliquer dans le processus de construction d’installations ou de demander de l’aide à un tiers. Bref, le développement de places sera plus centralisé que dans le passé. 

Notons que lors de l’étude détaillée, un amendement a été adopté à l’effet de prioriser les CPE lors des appels de projets.  

Les capacités des installations passent d’un maximum de 80 enfants à 100 enfants par installation. La limite de 300 places par CPE est abolie, tout comme la limite de 5 installations par CPE.  

Aussi, le ministre peut désormais autoriser des installations temporaires et ces dernières peuvent accueillir aussi des poupons. Dans la version non amendée du projet de loi, les installations temporaires ne permettaient que des enfants de 18 mois et plus. 

Tenir compte de l’offre de places subventionnées ou non subventionnées dans l’accroissement des places 

C’est sans doute une des déceptions majeures des travaux entourant l’étude détaillée du projet de loi nº 1. Le ministre de la Famille a mis l’accent sur le fait qu’il se donnait l’obligation de développer de nouvelles places en fonction des besoins des territoires. Les partis de l’opposition ont voulu proposer un amendement visant à ce que le ministre se donne l’obligation d’augmenter les places en services éducatifs subventionnés. Cet amendement a été rejeté, le ministre affirmant qu’il est trop tôt pour mettre une obligation de ce type dans la loi, que le projet pilote de conversion des places non subventionnées en places subventionnées est en cours. C’est en grande partie pourquoi le Parti québécois s’est montré dissident à l’adoption du projet de loi, déçu que l’on conserve un réseau de services éducatifs à la petite enfance, comprenant d’une part, des services éducatifs régis et subventionnés de qualité, et des garderies privées de l’autre. L’organisme Ma place au travail a aussi été très déçu de cette occasion ratée de déployer davantage de places subventionnées, d’autant plus que c’est que les parents réclament.  

Rapatriement du guichet unique au ministère de la Famille 

La nouvelle mouture de la loi souhaite faire du guichet unique une véritable liste d’attente, en respectant le rang attribué et les critères d’admission. Ce guichet unique sera désormais administré par le ministère de la Famille. On souhaite accorder une priorité aux enfants issus de familles défavorisées; des comités de travail sont actuellement à l’œuvre pour déterminer comment se fera cette priorisation.  

Les modalités de fonctionnement du nouveau guichet unique seront édictées par règlement, une fois les travaux sur la priorisation des enfants défavorisés et sur les critères d’admission terminés. Les CPE et les garderies privées subventionnées ont l’obligation de justifier tout refus.  

Il n’y a pas de changement quant au guichet unique pour les garderies non subventionnées et pour les RSE.  

 Droit des enfants de 6 ans de fréquenter un service éducatif à la petite enfance 

Ce changement a été salué par la FIPEQ-CSQ. La loi permettra désormais aux enfants de moins de 6 ans de fréquenter un service éducatif à l’enfance, puisque la maternelle 4 ans ou la maternelle 5 ans ne sont pas obligatoires. Le choix de fréquenter un service éducatif à l’enfance ou la maternelle revient aux parents.  

« Un enfant qui cesse de fréquenter l’école après y avoir été admis a également le droit de recevoir des services de garde éducatifs jusqu’au premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire suivant celle où il a atteint l’âge de 6 ans ». Cet amendement apporté à l’article 2 du projet de loi par la députée libérale Jennifer Maccarone, vise aussi à donner plus d’occasions favorables aux parents d’enfants ayant des besoins particuliers à rester dans le réseau des services éducatifs à la petite enfance s’ils le souhaitent, avant que l’école soit obligatoire. 

Lors d’une présentation portant sur les incidences de la loi, la présidente de la FIPEQ-CSQ, Valérie Grenon, a questionné le ministère sur les effets de ce changement sur les subventions. Les subventions demeureront-elles les mêmes si un enfant revient dans le réseau après avoir fréquenté la maternelle? Le ministère doit faire ses vérifications et nous revenir sur ce sujet.  

 La publication de l’évaluation de la qualité dans les services éducatifs à l’enfance 

Le ministre de la Famille a apporté un amendement au projet de loi pendant l’étape de l’étude détaillée. Les groupes ayant participé aux consultations en novembre n’ont donc pu se prononcer sur cet aspect qui ne figurait pas dans le projet de loi initial. Il s’agit d’un amendement visant à rendre publics (sur un site Internet) les résultats de l’évaluation de la qualité des services éducatifs à l’enfance. 

Le ministre publie les résultats du processus d’évaluation et d’amélioration de la qualité éducative des services de garde sur le site Internet de son ministère dans les 60 jours de leur obtention, de même que l’administrateur du guichet unique d’accès aux services de garde éducatifs à l’enfance le fait sur le site de ce guichet. En outre, le prestataire de services de garde éducatif à l’enfance doit informer les parents des enfants qu’il reçoit que ces résultats sont publiés, dans les 30 jours suivant un avis reçu à cet effet du ministre. 

Sur ce point, la FIPEQ-CSQ a fait plusieurs représentations auprès des oppositions lors de l’étude détaillée, les mettant en garde contre les dangers de cette pratique en général, poussant vers une logique de compétition et plus particulièrement auprès des RSE à qui cela pourrait nuire à leur réputation. La FIPEQ-CSQ a suggéré comme amendement que les évaluations se fassent plutôt par moyenne par bureau coordonnateur (BC), amendement qui a été proposé par Jennifer Maccarone, mais qui a été rejeté.  

La sous-ministre Danielle Dubé est intervenue lors de l’étude détaillée pour affirmer que l’évaluation se ferait en plusieurs étapes. À l’heure actuelle, dans les CPE et les garderies subventionnées, seuls les groupes de 3 à 5 ans ont fait l’objet d’une évaluation. Les autres groupes suivront. Quant aux milieux familiaux, elle a mentionné que des consultations seraient faites afin de déterminer quelle serait la meilleure approche, puisque la réalité est très différente. Ce n’est qu’une fois que toutes les installations seront évaluées que les résultats seront publiés, tout comme ce n’est qu’une fois que tous les milieux familiaux seront évalués que les résultats seront publiés. 

 Abolition des services de garde en milieu familial non reconnus 

La loi permet un délai de quatre ans afin d’éliminer la garde en milieu familial non reconnu. Ainsi, à partir du 1er septembre 2026, il sera illégal d’avoir un tel service de garde. Selon les données du ministère, en 2019, 36 758 enfants fréquentaient un service offert par environ 8 207 personnes non reconnues. Le document « Grand chantier pour les familles » et sa version actualisée à la suite de l’étude détaillée mentionne toujours que les PNR n’auront pas à être subventionnées si elles ne souhaitent pas être syndiquées.  

 Changements pour les BC et pour les RSE 

Le ministre se donne le pouvoir de s’assurer de la cohérence des actions et des pratiques des BC. Bien que plusieurs le faisaient déjà, les BC feront de la prospection pour attirer de nouvelles RSE et pour promouvoir les services éducatifs en milieu familiaux. Les BC ont le pouvoir de modifier le nombre de places en cours d’agrément et ils auront aussi la possibilité de consulter le dossier éducatif de l’enfant. 

Chez les RSE, les principaux changements apportés par la nouvelle mouture de la loi consistent en le fait que le ministre aura l’obligation de tenir compte du degré de satisfaction des RSE à l’égard des pratiques de leur BC. La durée de la reconnaissance est augmentée à cinq ans plutôt que trois ans. Le ministre a le pouvoir de subvention pour les demandeurs de reconnaissance (incitatifs financiers). En cas de refus de délivrance d’une reconnaissance, un recours au Tribunal administratif du Québec (TAQ) est désormais possible.   

 Inspections et enquêtes  

L’interdiction d’entrave aux enquêteurs est élargie. Un inspecteur peut exiger par une demande péremptoire de recevoir des documents ou des renseignements dans un délais raisonnable même si ces derniers ont déjà été communiqués. L’immunité pour l’enquêteur s’ajoute à celle de l’inspecteur. Selon le cas, un délai de prescription de deux ou de trois ans pour une poursuite pénale est ajouté. Les montants des amendes et des pénalités sont mis à jour. 

Prise en compte des réalités autochtones 

Lors de l’évaluation des besoins de services de garde et de l’établissement des priorités de d’expansion et avant de répartir des places au sein d’une communauté autochtone, le ministre consulte uniquement la communauté concernée. Un prestataire de services de garde éducatifs qui fournit des services au sein d’une communauté autochtone n’est pas tenu d’adhérer au guichet unique et n’est pas soumis à l’application des articles en lien avec le guichet. Le gouvernement peut conclure une entente portant sur toute matière visée par la présente loi ou par ses règlements afin de permettre l’application de mesures assurant la prise en compte de la réalité des autochtones.